D'ordinaire en cette période, nous pouvons discerner deux tendances chez les ludochons :

  • ceux qui préparent Essen, et qui outre leurs paquetages réglementaires vont se nantir de plans, listes, coupons de réduction, en vue de de livrer à une débauche ludique. On les reconnaît aisément à un sourire béat (voire un peu niais si on écoute les suivants) et à une propension à s'étonner exagérément sur le fait que 99,96 % de la population européenne reste, elle, tranquillement à la maison.
  • ceux qui se moquent d'Essen. Ils affichent une belle tranquillité, un esprit serein juste perturbé, mais si peu, par les quolibets moqueurs des premiers.


Pour donner un peu plus de visibilité à ces derniers, voilà quelques années que nous nous livrons à une ré-interprétation plus ou moins malhonnête (plutôt franchement malhonnête) du mythe essenien, mais cette année, nous allons carrément tenter de leur coller... (Roulement de tambour)... la honte!

Le Essen-skam

Nos voisins norvégiens ont créé la notion de flygskam, histoire de décourager, pour des motifs écologiques, leurs concitoyens de prendre l'avion sans motif sérieux. Le succès de l'opération étant établi (par une baisse sensible, de l'activité aéroportuaire en Norvège, tant sur le trafic intérieur que sur le trafic longue distance) nous allons faire de même avec nos amis ludochons, en observant Essen du côté du bilan carbone. J'en vois déjà qui commencent à s'en mordre les pinces à meeples!

20191023_Spiel_Essen.jpg, oct. 2019

Le voyage

La première idée qui vient à l'esprit dans ce type d'analyse est bien entendu de s'intéresser au bilan carbone de la translation de nos plus vaillants ludochons; bilan qui dépend bien entendu du moyen de transport choisi.

Curieusement, le plus économe, théoriquement, à savoir le train est assez peu prisé. Maintenant même dans ce cas il faudrait faire une étude plus détaillée et qui dépasse nos compétences puisque l'efficacité dépend du taux de remplissage et du mix énergétique du pays... Si en Allemagne vous prenez le train un jour peu venteux dans un train peu chargé ça risque de ne pas être terrible, dans le cas contraire, vous ne serez pas forcément heureux de faire le voyage avec une famille bavaroise bruyante.
Bref en train votre bilan carbone sera "moins mauvais", mais vous pourriez être tenté de réoccuper la Ruhr!

Passons à la route, là, difficile de ne pas tenir compte du bilan CO2, dans un SUV (parce que vous voulez avoir un peu de place pour les jeux), on arrive déjà à quelques de kilos de CO2 (0.64 tonnes). Maintenant avec le covoiturage, on va partager la charger et la rendre un peu plus supportable... Un peu... Heureusement, vous avez bien lu les données constructeurs et vous êtes surs que votre voiture ne pollue pas!

Pour l'avion, même pas la peine de vous faire un dessin, c'est bien sur tout de suite 0.33 tonnes qu'on peut espérer au mieux par tête de pipe (sachant que là c'est au mieux et qu'il vous faudra un véhicule à l'arrivée).... Et oui ça fait tout de suite quelques centaines de litres de kérozene pour s'envoyer en l'air.. Rappel: facteur d'émission total de 3,04 kg de CO2 par litre de kérosène, et on vous fait grâce du Nox, des suies, et on ne vous parle même pas de la pollution sonore.

Bref, pour arriver à Essen ce n'est pas le célèbre "Beam me up, Scotty" qu'un geek devra prononcer, (car cela ne marche pas, et si cela se trouve en terme de CO2...), mais un plus terne et fumeux "Steam me up, C.O.2"

Les jeux

Les voyages forment peut-être la jeunesse, (enfin ils forment surtout la promesse de lendemain qui "chantent", avec un respirateur), mais une fois sur place on pourrait espérer un peu de repos côté dépense de gaz à effet de serre... Et bien non!

Pour satisfaire la fièvre, qui prend nos joueurs (où l'angoisse qu'ils commencent à manifester à la lecture de cet article), on va leur offrir les dernières nouveautés ludiques et là,... Pas de chance!
Le cargo qui mazoute l'océan indien n'étant pas forcément arrivé, qu'à cela ne tienne on va parfois faire venir une pré-série par avion... Pour le coup, même si vous êtes venus à pied, vous repartirez avec un bilan carbone redoutable.

Pour ce qui est du jeu en lui-même, il y a depuis longtemps des interrogations sur le bilan carbone de ceux-ci, qu'on peut pondérer éventuellement, en le comparant à celui des activités auxquelles ils pourraient se substituer. Néanmoins, dans la fièvre acheteuse qui prend l'Essenien, comment qualifier le bilan carbone d'un jeu qui ne sera joué que deux ou trois fois ?
Pour faire simple, le jeu, qui est plutôt une activité peu émettrice (quoi que pas trop locavore), une fois le coup de production initial amorti, peut le devenir si un jeu n'est pas joué. Si vous venez en avion récupérer une extension pour un jeu que vous n'avez pas (les collectionneurs cela fait ce genre de trucs) et qui est arrivé par avion, vous aurez le droit de gagner le "meeple de goudron" à la fin du salon!

Par grandeur d'âme ,et pour ne pas torturer plus avant celles de nos ludochons déjà en train de se livrer à des exercices de pénitence, nous vous ferons grâce de l'éclairage du lieu, de la climatisation / ventilation, etc...

Le séjour

À ce stade, vous vous dites que vous avez déjà avalé bien des couleuvres carbonées, mais en avez-vous fini ? Et non, car il faut bien vivre, manger dormir et se laver (enfin c'est mieux).

On pourrait se dire que cela ne compte pas vraiment puisqu'on déporte une consommation énergétique qui serait présente par ailleurs. Certes.
Mais curieusement, le ludochon ne va pas venir avec des sandwiches qu'ils auraient préparés avec amour et il va consommer peu de produit 100% locaux sur place... Bref, sa consommation ne sera peut-être pas aussi vertueuse que sa consommation habituelle, sans compter que l'afflux d'une foule nombreuse dans un lieu donné, peut entraîner, par les effets d'échelle des effets néfastes ( dépenses énergétiques supplémentaires, surdimensionnement d'installation etc)...

Bien sûr, il doit sûrement y avoir chez les ludochons des raisons peu avouables d'aimer Essen, le karaoké après la douche à la bière, les ventrées de saucisses au curry, peut-être...
Bref, oubliez Essen !

Plus sérieusement, nous avons fait, comme bien des joueurs pendant des années l'apologie du jeu de société en tant qu'activité sociale, inclusive, transgénérationnelle, à faible coup. Malheureusement, il semblerait que l'accélération du marché du jeu de société puisse également entraîner un consumérisme débridé qui n'aurait pas que des avantages...

À jeudi, lieu habituel, bilan carbone raisonnable !