Comme chaque année, quelques ludochons partiront à Essen en 2015, pour participer au Spiel, sorte de grand pèlerinage ludique annuel. D'ordinaire, ceux-ci se moquent un peu des pauvres hères qui devront rester à la maison et ces derniers tentent de répliquer tant bien que mal, sachant qu'ils risquent malgré tout d'être dégoutés quand les premiers reviendront les bras chargés de trésors...

Amis sédentaires, voici votre vengeance cette année nous allons leur livrer le compte rendu d'Essen 2015 avant Essen 2015, histoire de les priver de toute surprise ! Je vous vois sceptiques... Doutez vous encore de notre mauvaise foi ? Vous ne devriez pas! La preuve :

Le départ

Il est 4h00 du matin, il pleut et il fait froid, le Nord Isère déploie en ce petit matin son charme légendaire, celui qui a valu à la région le nom de "terres froides"... Vous cherchez vainement où se cache l'enthousiasme qui vous avait fait envisager le voyage, en proie à un étrange pressentiment...
04h30, vous sentez le chien mouillé, mais une voiture arrive enfin. C'est une... twingo ? Oui, "une panne sur le break", mais il parait que cela va être "sympa"... Pour le coup, vous vous demandez si le vanity case d'une de vos collègues est vraiment utile.
07h00 vous êtes joyeux malgré vos genoux déjà douloureux, il est temps d'attaquer le légendaire et traditionnel "Shabadabada on the road"...
08h00 étonnant de savoir que dans vos collègues il y a un fan de Death metal et une de Sheila... La mauvaise nouvelle est qu'ils ont accès à l'auto radio...
13h00 pause déjeuner sur une aire d'autoroute, en mangeant un triste sandwich vous vous jurez de détruire les santons de votre crèche comme des "rois mages en Galilée"...
Arrivée à Essen ! Vous veniez juste de vous endormir malgré vos genoux qui hurlent de douleur, et vous arrivez donc difficilement à prendre part à l'euphorie qui s'est emparé de la voiture, coincé dans un rêve étrange (où Sheila reprend "Bring your daughter to the slaughter")... Vous aurez juste le temps de trouver votre logement avant de vous ruer sur le premier restaurant qui se présente. Vous commandez au hasard une tarte légère pour rester vif demain. Cela sera une tourte à la choucroute et aux rognons, mauvais Karma !

Premier jour...

Vous piétinez devant l'entrée comme plusieurs centaines de personnes et pour le coup vous la sentez bien l'ambiance électrique! Bon, il y a aussi les aisselles de vos voisins de type "géants teutoniques" alors que Dame Nature, jamais avare en bonnes plaisanteries, vous avez nanti d'un splendide corps d'athlète (format bonsaï).
Enfin l'ouverture ! Alors que les géants peinent à mettre en branle leurs corps engourdis, vous vous faufilez comme une anguille et prenez la tête de la file en n'hésitant pas à vous retourner pour leur montrer une langue majestueuse (d'un format tout à fait respectable, elle!). Ce soupçon de panache franchouillard et votre inattention afférente, vous vaut malheureusement de finir allongé sur la moquette... Vous saluez alors le fair-play allemand; on vous piétine, certes, mais sans vous adresser la moindre insulte en retour : classe !

Pantelant vous arrivez péniblement à un stand de soldeur qu'on vous a chaudement recommandé... Malheureusement la foule vous a devancé. Vous faites la queue coincé entre des anglais et des américains.
Curieusement un anglais de beau format (une malédiction ce salon!), fini, posé sur vos chaussures et le brouhaha fait qu'il n'entend pas vos hurlements de rage... Quand il vous libère enfin, vos pieds et vos genoux refusent d'aller plus loin et vous finissez par terre (encore !).
Pour vous donnez une contenance vous embrassez la moquette (bon, le premier jour ça doit aller) pour faire croire que l'émotion vous pousse à bénir la terre ludique promise... Quelques clics vous laisse à penser que tout cela va en plus finir sur Facebook !
Votre humiliation n'est cependant pas vaine vous repérez, au ras du sol, une boite de Media Mogul, réputé le plus mauvais jeu de tous les temps chez les ludochons ! Pour 1 € un cadeau rêvé pour votre petit cousin que vous détestez... Vous le faites même dédicacer par le vendeur (l'auteur n'est pas là mais de toute façon, votre cousin n'entend rien à l'allemand) comme cela il n'osera jamais le jeter !

Vous retrouvez ensuite votre groupe qui vous demande (les bras chargés) ce que vous avez bien pu faire pendant tout ce temps... Il est en effet l'heure d'aller se restaurer ! A la première bouchée de CurryWurst votre tube digestif décide de se rétracter dans vos talons (vos pieds n'avaient pourtant pas besoin de cela...). Vous vous demandez fugacement si Terry Pratchett n'était pas passé là il y a longtemps à la recherche d'inspiration... Vous passez donc le reste de l'après-midi, livide et tremblant sur une table de jeux d'enfants à proximité de lieux qu'on m'interdit de mentionner ici...
Fin de soirée calme, à base de riz et de jeux sans doute bons, si ce n'est que vos collègues ont aussi mal digérés, (mais les règles de jeux eux)...

Deuxième jour... Le buzz

On vous l'a dit, le deuxième jour c'est la journée du buzz... Ca commence dès le matin, vous cherchez sur les sites français et américains les derniers "buzz" du salon où vous vous trouvez, oui c'est paradoxal mais c'est comme cela... Ensuite vous arrivez au salon, et là, c'est la même chose ! Vous cherchez tous les francophones qui passent, pour avoir leurs ressentis. Une fois, entrés, vous cherchez finalement les classements "officiels" pour compléter votre analyse... Conclusion, personne n'est d'accord!

Encore un peu fatigué, vous décidez d'avancer prudemment dans les couloirs, certes aujourd'hui vous n'êtes pas piétinés mais toutes les tables qui buzzent (presque toutes donc) ont été prises d'assaut.

Vous en profitez pour aller faire le tour du côté des éditeurs peu connus et pour tout dire, pour certains, étranges... Là, il faut dire cela "buzze" une vraie ruche, ou plutôt une tour de Babel. Des coréens qui parlent en anglais à un allemand, des tchèques qui parlent à des français dans un sabir étrange, qui se voudrait un espéranto ludique. Vous passez une plutôt joyeuse journée là-bas, et curieusement en fin de journée vous êtes devenu LA source du buzz, vous avez curieusement passé la journée d'hier sur les meilleurs jeux pour enfants et aujourd'hui vous avez exploré tous les éditeurs alternatifs, une connaissance rare...
Étrangement, vous êtes un peu triste de ne pas pouvoir prononcer un seul des noms des jeux que vous avez achetés, et vous espérez secrètement que les règles sont bien en français dans les boites...
En rentrant, vous passez néanmoins fièrement devant un stand hongrois (entièrement barricadé), avant de croiser les grands stands allemands (en train de peaufiner leur indice VW de fréquentation) puis enfin la sortie, les bras chargés de goodies.

Troisième jour... Inversion de la tendance

Ça y est vous êtes une star ! Vous avez eu ce matin le droit à une interview en vidéo pour un média ludique sur les nouveautés des pays émergents (ludiquement parlants)... Vous avez parlé "de tout un tas de jeux intéressants". "Intéressant" est un terme générique qui n'engage finalement pas à grand chose... L'effet bénéfique est qu'alors que vous vous dirigez vers les grands stands, vous voyez des hordes (germano-franco-américaines) se ruer vers les stands de petits éditeurs... Vous bénéficiez donc d'une matinée tranquille à tester tout ce qui a buzzé... Vous bénéficiez aussi d'un autre avantage remarquable; au bout de deux jours les gentils préposés aux explications sont au point, vous avez la chance de jouer avec les "bonnes" règles !

A midi vous adressez, avec votre lâcheté proverbiale, un grand sourire au vendeur de CurryWurst et en gonflant vos joues vous lui indiquez que vous ne pouvez plus rien manger à part quelques chips... Heureux d'avoir un client souriant il vous offre un ersatz de Forêt noire à base de maïzena.

Au milieu de l'après midi, un peu lourd vous assistez au "reflux" (Non, pas gastrique! Celui des joueurs !)... Tous les gros joueurs sont en effet pris d'un doute. En fait, ils se sont aperçus que sur les "bons" ou les "mauvais" jeux, aucun n'avait joué avec les mêmes règles donc un buzz différent se fait jour, créant un stress indescriptible chez ceux qui avaient déjà rempli leurs voitures de "trésors ludiques"... Pour vous, le salon est fini et vous appréciez presque les douleurs lombaires, causées par votre matelas, symbole d'une journée pleine d'émotions.

Retour

Le lendemain c'est le retour, prévu de longue date... Charger une centaine de jeux dans une twingo se révèle plus compliqué que prévu, vous en profitez pour pousser légèrement du pied un vanity case sous la voiture garée derrière vous...
Vous pourriez être obsédé par cette vile action lors du retour mais curieusement vous vous demandez surtout si le concepteur du véhicule avait pensé aux passagers qui auraient à voyager avec les pieds au dessus du bassin... Après la frontière, alors que vous avez répondu non à la précédente question, vous entendez (par delà le mur des jeux) un :
"- Quelqu'un a vu le vanity ?
- Il me semble l'avoir vu dans le coffre..."
Répondez-vous, forcé d'admettre encore une fois l'efficacité sociale de la lâcheté, et en tentant de sauver votre amour propre en vous disant que vous n'avez pas "formellement" menti puisque c'était vrai à l'aller. Votre compagne de voyage, elle est rassurée et se remet donc à chanter "l'école est finie", contente de savoir que tous les goodies sont bien là.
En fin d'après-midi, dans un brouillard blafard vous voyez apparaître le fantomatique panneau de l'abbaye de Saint-Chef, signe que vous approchez du but. Vous imaginez que vous aller vous déplier tel un ressort au sortir de la voiture... Cela ne sera malheureusement pas le cas, on vous extrait tant bien que mal, perclus de courbatures, et vous rêvez alors d'un rollator pour rentrer tous vos jeux chez vous... Essen c'est toujours trop court dit-on... sauf pour votre corps qui a pris dix ans !